Jean Véronis
Aix-en-Provence
(France)


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lundi, mars 14, 2005

Texte: Le flot de l'histoire

History Flow, le "flot de l'histoire", voilà un bien joli nom pour cet outil créé par Fernanda Viégas et Martin Wattenberg du groupe de recherche "Collaborative User Experience" d'IBM. History Flow permet de visualiser l'enchevêtrement complexe des révisions que subissent les textes électroniques, tels que les wikis :


Entrée Islam dans Wikipedia (cliquez pour agrandir)

L'image ci-dessus montre l'évolution de l'entrée Islam dans Wikipedia (anglophone). Chaque couleur correspond à un auteur. Le diagramme dans la partie gauche montre la contribution de chaque auteur au cours des révisions, tandis que la partie droite affiche le texte, avec les mêmes couleurs indiquant les parties dues aux différents auteurs. On voit l'évolution, l'accroissement de l'entrée, l'apparition et la disparition de rédacteurs, les accidents (les bandes noires verticales indiquent des actes de vandalisme, pendant lesquels l'entrée a été totalement détruite -- et heureusement restaurée aussitôt).

C'est un outil superbe. Sur son site original, vous pourrez voir une galerie de très belles images pour quelques entrées choisies de Wikipedia. Chaque entrée a sa "physionomie". Il y a des entrées calmes, qui progressent tout doucement (comme love), d'autres qui sont très agitées (comme abortion...). Est-ce que ça ne serait pas fantastique d'avoir cet outil de visualisation disponible en permanence sur les pages de Wikipedia -- et pourquoi pas de notre propre traitement de texte ? On pourrait lire les textes avec une troisième dimension, celle du temps...

L'outil date de 2003, et je l'avais un peu mis aux oubliettes des prototypes regrettés, mais Fernanda m'a dit il y a quelques jours qu'IBM travaille à une version Open Source, qui devrait voir le jour bientôt ! Je l'attends avec impatience.

J'avais mentionné il y a quelque temps, dans un billet intitulé La mort des brouillons, la parenté entre les wikis et les brouillons d'écrivains. Bien sûr, History Flow n'a peut-être pas encore la magie de ces vieilles pages raturées à la plume, mais ça n'est qu'un début...


Voir l'exposition Brouillons d'Ecrivains à la BnF

Peut-être que certains de nos auteurs illustres n'auraient pas dédaigné l'outil wiki. Après tout, l'impression de l'oeuvre, n'est-ce pas cela la première mort du brouillon ? Jusque là, l'oeuvre vit, se modifie, se détruit, se restaure, au rythme du rêve de l'écrivain, de ses doutes, de ses regrets. La presse écrase le rêve sans pitié. Voilà l'oeuvre figée à jamais, et les éditions futures n'y peuvent grand-chose.

Je pense à Jules Verne, par exemple, dont on parle beaucoup ces temps-ci. Quand il s'est mis à lier après coup plusieurs de ses romans (20 000 Lieues sous le Mers, Les Enfants du Capitaine Grant, L'Ile Mystérieuse), n'aurait-il pas rêvé de pouvoir revenir en arrière, adapter les lieux, les faits, les dates, les personnages, l'ambiance ? Il est vrai qu'il a utilisé l'hypertexte de l'époque, les notes de bas de page, pour essayer de contourner les incohérences et les difficultés, mais, franchement, le résultat n'est pas extraordinaire, contrairement à ses Voyages... Peut-être qu'un jour (quelques décennies? quelques siècles ?) l'oeuvre littéraire ne sera plus figée dans son impression, mais dynamique, mouvante et changeante ?

Le wiki... tiens voilà une invention qu'il n'avait pas imaginée, notre grand Jules !

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8 Commentaires:

Blogger J2J2 a écrit...

J'avais déjà vu il y a une dizaine d'années un système de ce style (le snapshot était très ressemblant) dans un numéro de "Recherche". Ce système permettait entre autre d'avoir une vision synthétique des changements du code source. Ces systèmes sont très utiles en développement lorsqu'ils sont couplés à un système CVS. En effet, ils permettent de mettre en relief les lignes "chaudes" dans des sources: les lignes souvent modifiées sont celles qui posent des problèmes, celles qui ont été souvent corrigées.
Il est certain que dans quelques années, il en sera de même pour l'édition des documents, et les Wikis en sont une bonne première illustration.
Bref... vive les CVS-like qui apportent la dimension temporelle aux documents.
Mais ce n'est qu'un premier pas. Dans un avenir proche, le contrôle de version sera nativement intégré au filesystem des systèmes d'exploitation. Il suffit d'aller voir les fonctionalités promises par le projet Storage de Gnome (projet qui se veut un "concurrent" au futur système de fichier de Microsoft Longhorn) pour se rendre compte de l'importance des mutations qui nous attendent dans ce domaine.

14 mars, 2005 23:18  
Anonymous Anonyme a écrit...

Bonjour Jean,
Ne conviendrait-il pas ici de traduire flow par flux plutôt que par flot ? Flot évoque un mouvement d'eau aléatoire, erratique, et flux davantage un écoulement qui va dans un sens donné (le sens de l'histoire en l'occurrence !)

15 mars, 2005 18:09  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Fuligineuse> Voilà encore un domaine où le français et l'anglais ne découpent pas vraiment le monde de la même façon... C'est vrai que "flow" a une connotation plus fluide que "flot", mais on le traduit quand même souvent par "flot" ("the flow of thought" - "le flot des pensées", etc.). Ca sonne quand même mieux que "flux"... On pourrait dire "courant", aussi. Le "courant de l"histoire"... Mais en fait, j'aime bien "flot", parce que justement "flot évoque un mouvement d'eau aléatoire, erratique" comme vous dites, et c'est bien ça que je vois dans ces entrées de la Wikipedia. C'est bien plus mouvementé qu'un doux fleuve tranquille, et c'est d'ailleurs assez fascinant !

15 mars, 2005 21:03  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Lignite> Tiens, nos messages se sont entremélés (avec ma réponse à Fuligineuse). Ce serait amusant de visualiser ces entrelacs avec History Flow ;-)

Merci pour cete citation d'Eco ! "Les récits déjà faits nous apprennent aussi à mourir". Terrible, mais sans doute un peu vrai. L'oeuvre "ouverte", modifiable, hypertextuelle, est peut-être un moyen bien dérisoire d'essayer de contourner la mort -- et pas seulement celle "des brouillons"...

15 mars, 2005 21:08  
Anonymous Anonyme a écrit...

"Les récits déjà faits nous apprennent aussi à mourir"

On peut inverser l'argument (ce qui était en partie le constat du premier billet sur la disparition des brouillons) : le récit tout fait, et son support imprimé, nous font croire à l'immortalité de l'oeuvre par delà la mortalité de l'auteur, tandis que le récit en constant remaniement, rend l'oeuvre tout aussi éphémère, voire plus, que l'auteur.

Combien reste-t-il après 30 remaniements de la contribution du premier auteur dans une encyclopédie wiki ? :/

16 mars, 2005 18:53  
Blogger J2J2 a écrit...

"A l'heure du SMS et des messageries instantanées, y-a-t-il encore de la place pour l'écrit littéraire ? Petits îlots de résistance, les ateliers d'écriture sont des loisirs créatifs qui s'adressent à tous et connaissent un succès croissant."A lire sur l'Internaute

17 mars, 2005 09:51  
Blogger Jean Véronis a écrit...

>y-a-t-il encore de la place pour l'écrit littéraire ?

Je suis optimiste! Non seulement la planète n'a jamais autant écrit (millions de blogs, chats, forums, etc.), mais elle n'a jamais autant lu (c'est ce qui ressort du Salon du Livre, qui se tient en ce moment même).

18 mars, 2005 12:28  
Anonymous Anonyme a écrit...

Étrangement, ce qui m'a frappé en premier dans la capture d'écran, c'est l'aspect d'art - ou plus précisément, de tableau - du résultat.

Á quand la première rétrospective History Flow à Pompidou...?

18 mars, 2005 12:49  

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