Jean Véronis
Aix-en-Provence
(France)


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mardi, janvier 30, 2007

Lexique: Les puces et le chiffonnier

Salut l'Abbé. Tu as dû arriver chez ton patron, maintenant. Toi, tu appelais ça tes «grandes vacances». Si tous les patrons étaient comme ça... En tous cas, j'espère qu'il t'aura pardonné tes petits écarts.



Moi, tu vois, il y a un truc qui me chiffonne. Tu avais dit : rien du tout, laissez-moi partir tranquille, mais il a fallu qu'ils en rajoutent. Quand je suis passé l'autre jour à 8h30 devant Notre-Dame et que j'ai vu les cars de télés déjà en place, les camions de gendarmes en tenue robocop, ça m'a agacé, et j'ai poursuivi mon chemin. J'ai vu après, à la télé justement, les grands de ce monde venus verser leur larme, et je n'ai pas pu m'empêcher de penser qu'avec un an des «frais de bouche» que s'octroyaient généreusement certains qui avaient l'air très émus, tu aurais probablement décuplé le budget d'Emmaüs, et dépanné pas mal de pauvres gens...

Enfin, le monde est comme ça, je ne vais pas te l'apprendre. Je les ai croisés il y a bien longtemps tes chiffonniers. Pas toujours des tendres. Il y avait de bonnes enguelades, et même de la castagne. Mais des coeurs gros comme une maison -- peut-être celle qui leur avait souvent manqué. Tu as fait du bon boulot l'Abbé. Il y en a peut-être qui essaient de continuer, à leur façon.

Au fait, tu sais d'où ça vient, ce mot de chiffonnier ? Je vais te faire rire. Les chiffonniers et les puces, tu sais qu'il y a un rapport, évidemment. La récup, les vieilleries. Mais il y a autre chose... Les chiffons ce sont des petits bouts de tissus, des lambeaux d'étoffe. On disait chipe dans le temps. Ca se dit toujours dans certains coins, mais ça se perd. Ca vient de l'anglais : au XIVe siècle, il n'y avait pas encore de Ministère de la Langue pour râler, et il n'y avait pas encore de purpuristes pour nous expliquer qu'il faut dire mèl ou bloc. To chip, couper en petit morceaux. Les chips, c'est des copeaux de patates frites, et c'est aussi les petits bouts de silicium qu'on met dans les ordinateurs. Les puces, quoi. Tu me vois venir ?

Allez l'Abbé, bonnes vacances. Te gave pas de chips, même si elles sont gratuites là-haut. Ca fait grossir, et puis, n'oublie pas, ici bas, il y en a toujours qui n'en n'ont pas à tous les repas. Tu pourrais peut-être en glisser un mot à ton patron. Si jamais il voulait bien bosser un huitième jour, pour arranger tout ça...

8 Commentaires:

Anonymous Anonyme a écrit...

Décidemment, vous êtes très bon dans les hommages, je me souvenais de celui de Raymond Devos...

31 janvier, 2007 15:54  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Merci, c'est gentil ! Mais quand il y a de l'émotion, les mots viennent tout seuls. J'ai croisé les chiffoniers il y a bien longtemps (et aussi ATD Quanrt-Monde), et j'en ai gardé comme une force au fond du coeur...

31 janvier, 2007 19:42  
Anonymous Anonyme a écrit...

deux petites choses : on peut noter que ces chiffons servaient entre autres à faire le papier, selon un procédé bien moins polluant que pour le papier de bois, et donnant une bien meilleure qualité (notament au niveau de la conservation à long terme).

Deuxième chose : les inventeurs d'horreurs comme « mél. » (la recommandation officielle comprend ce point aberrant) ou « bloc» pour un site internet ne sont en rien des (pur)puristes : des bureaucrates et des vandales, se peut, des tératolexicographes sans aucun doute, mais en aucun cas des puristes.

sinon : où trouvé-je le (petit) matos informatique le moins cher (moins cher que sur tous les sites Internet ?) aux puces, bien sûr.

31 janvier, 2007 19:54  
Anonymous Anonyme a écrit...

L'abréviation Mél. (contraction de message électronique) avec majuscule et point pseudo-abréviatif n'a jamais existé que comme pendant à l'abréviation Tél. pour des cartes de visite et elle n'a jamais été un nom commun à insérer dans une phrase, ce nom n'a jamais existé dans aucune recommandation officielle. La forme était une erreur manifeste et elle engendrait des confusions sans pouvoir servir à former un nom commun, mais le fait de faire croire que c'était (l'abréviation n'existe plus) un nom commun comme “courriel” relève souvent de l'ignorance, de la mauvaise foi, de la confusion, de la volonté de dénigrer à tout prix. Pour “bloc(-notes)”, c'est une gigantesque couennerie en revanche.

31 janvier, 2007 20:42  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Dominique> Mél. Je sais bien, mais j'ai bien souvent entendu dire mes collègues qu'il fallait dire "mèl" ou "mél" et pas "e-mail" que je crois que l'origine abréviative s'est purement et simplement perdue dans l'inconscient linguistique collectif...

31 janvier, 2007 20:46  
Anonymous Anonyme a écrit...

Post très sympa en plus d'être instructif. Toujour smerci.

01 février, 2007 16:06  
Anonymous Anonyme a écrit...

"J'ai vu après, à la télé justement, les grands de ce monde venus verser leur larme, et je n'ai pas pu m'empêcher de penser qu'avec un an des «frais de bouche» que s'octroyaient généreusement certains qui avaient l'air très émus, tu aurais probablement décuplé le budget d'Emmaüs, et dépanné pas mal de pauvres gens..."

CQFD !!

C'est un très beau billet que vous avez écrit là, et un bel hommage tel que l'Abbé Pierre en mérite.

Sinon, pour la poste, je n'ai eu aucune peine à adopter le terme de courriel, en partie du fait qu'il entretient un lien - d'évidence - avec la forme maitenant considérée comme "so passée" (dire avec l'accent british mais snob) - du courrier, mais aussi de la correspondance, bien plus riches en évocations que celui de la boîte èa malle...

03 février, 2007 03:55  
Anonymous Anonyme a écrit...

Pardon pour les coquilles, j'ai un nouveau clavier... éa se lira en tant que à

03 février, 2007 03:56  

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