Jean Véronis
Aix-en-Provence
(France)


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jeudi, février 01, 2007

Bové: Une forêt de signes

En 1957, Roland Barthes décrivait l’Abbé Pierre, dont je parlais hier, comme une « forêt de signes » : la coupe de cheveux des franciscains, la barbe du missionnaire, la cape et la canne du pèlerin, les godillots cloutés… Peu importent ses paroles : il est un symbole vivant, ce sont son image et ses actions qui ont frappé l’opinion. A tel point que Pierre Bourdieu le compare aux prophètes des temps anciens : « Le prophète est un personnage extraordinaire qui surgit en temps de disette, de crise. Le prophète alors parle et dit des choses refoulées. L’abbé Pierre est quelqu’un qui prend la parole avec véhémence, indignation... ». Et ajoutons que la désobéissance aux lois des puissants ne lui faisait pas peur : « Il y a une loi avant les lois. Pour venir en aide à un humain sans toit, sans pain, sans soins, il faut savoir braver les lois. ». Je ne peux pas m’empêcher de faire le rapprochement avec le moustachu du Larzac…


Le personnage est lui aussi une « forêt de signes » : la chemise à carreau, la pipe, les moustaches, le tracteur, les menottes… Peu importent ses paroles à lui aussi. On ne sait pas très bien ce qu’il dit, au juste : les médias ne relaient guère ses mots. Ils donnent plutôt à voir le personnage et ses actions. Et je suis sûr que ça ne lui déplaît pas à José : les vidéos de ses fauchages et de ses apparitions entre deux gendarmes valent tous les discours. D’ailleurs, il est astucieusement économe de sa parole. Vous avez vu comme il s’est mis en retrait depuis quelques semaines, laissant les autres organiser son retour à grand coup d'activisme Internet et de pétitions électroniques. Quant à la désobéissance civile, les menottes parlent pour lui...

Etranges similitudes entre les deux personnages. Bourdieu le compare d'ailleurs lui aussi à un prophète, dans une interview qu’il a donnée en 2000 : « C’est un peu un miracle. Il y a un côté extraordinaire, qu’une parole de ce type soit possible. C’est comme pour les grandes révolutions prophétiques. Ce sont des gens qui arrivent à trouver le langage, la manière d’être... : c’est un tout ! La prophétie est une chose très mystérieuse. Cela m’intéresse beaucoup sociologiquement. Tout intervient : le personnage, la manière de parler, le ton, le génie de la métaphore, l’intelligence, le raccourci analytique… ». [Ecouter ici]

Le rouge et le noir… Amusant, non, cette collision de «prophètes» aussi opposés que semblables dans l’actualité ? En gros, c’est ce que j’ai raconté à Karim Nedjari qui m’interviewait pour le dossier à paraître dans Le Parisien aujourd’hui. Je ne sais pas ce qu’il en aura gardé. Je l'achèterai en arrivant à la Gare de Lyon. Tiens, en parlant de ça il faut que je me grouille moi, sinon je vais rater mon train.

Bon… En tous cas, pensez à couper les lumières ce soir. Moi, je serai de retour dans le TGV, ce sera un peu dur de descendre le pantographe, je doute que le conducteur m’écoute, mais je couperai au moins mon ordinateur.

11 Commentaires:

Blogger all a écrit...

Le père de José, Joseph Bové, est membre de l'Académie des Sciences, professeur émérite à l'université Bordeaux 2, Directeur de recherche honoraire à l'INRA. Il a travaillé sur le développement des OGM et a développé un riz transgénique.
Ceci explique-t-il cela, à savoir que José Bové le réfractaire rejoignit la mouvance gauchiste et régionaliste dans les années 70 ('le Larzac aux moutons, et l'armée aux cochons', 'Gardarem lou Larzac') ?
Sinon une moustache et une pipe à la Brassens, moustache également arborée par l'acteur d'une pub pour le roquefort.

Pour le discours, je le rapproche de celui-là : Refus de la mondialisation, refus du progrès, euro-scepticisme, retour à la terre et aux racines paysannes t aux valeurs familiales, plus quelques dérapages.

01 février, 2007 09:37  
Blogger Adso, a écrit...

Le rapprochement de Bové avec l'abbé Pierre me séduit. Et je suis comme toi certain qu'on peut sans fin disséquer la construction et l'enchevêtrement des signes qui se condensent dans ce nouveau prophète.

Le danger d'un tel décryptage, ce serait de réduire l'homme, et surtout son message, à ce qu'il faudrait alors appeler une com' bien huilée. Car Bové, ce n'est pas qu'un T-shirt du Che sous une caméra.

Bové, qu'on l'aime ou non, ce n'est justement pas un discours consensuel comme celui des grands candidats. Regrouper "la France invisible", ce n'est pas chercher à joindre deux ou trois segments de l'électorat à coups de discours musclé ou de tailleur blanc. C'est risquer une parole qui divise, contrairement à ceux qui, au fond, ne cherchent qu'à ré-esquisser l'ordre actuel en prétendant fédérer.

"Les médias ne relaient guère ses mots", "peu importent ses paroles". En effet: on imagine mal un traitement médiatique classique pour un discours révolutionnaire. Expliquer, par exemple, qu'on ne fait pas d'écologie sans remettre en cause les modes de consommation et de production, c'est plus compliqué que de s'en tenir à des chartes, des slogans et des photos de la terre vue du ciel.

Mais bon, ça, c'est la différence entre un discours et une opinion. L'espace médiatique se prête peu à ce qui prend plus de trente secondes à énoncer. Alors on en reste au "spectaculaire": le Moustachu du Larzac, un Guevara goût Roquefort.

Sauf à croire que les seules idées disponibles sont celles exposées dans les grands médias, on ne peut réduire Bové à ces apparitions, qu'il orchestre cependant savamment, je te l'accorde. Il relaie un discours, des écrits, des actions et de complexes filiations idéologiques.

Bon, ça fait un peu partisan tout ça... Je te laisse, mais non sans saluer ton blog, érudit et pêchu en diable. Et j'irai jeter un oeil au Parisien. Big up!

01 février, 2007 10:15  
Anonymous Anonyme a écrit...

Attention éteindre son ordinateur et l'allumer ça dé"pense plus d'énergie que de le laisser allumer. Gaffe à la démagogie.

01 février, 2007 11:42  
Anonymous Anonyme a écrit...

On vient de citer votre analyse dans l'appartement de Pascale Clark sur Canal Plus, à propos de José Bové qui est candidat !
Bon voyage retour.

01 février, 2007 13:11  
Anonymous Anonyme a écrit...

Bonjour,

de passage sur votre blog pour vous signaler une info de première importance.
(non, il ne s'agit pas de la candidature de Bové. Encore moins, des déclarations de Chirac sur l'Iran publiées par les grands quotidiens américains. Et, encore moins, des bourdes de l'équipe Sarkozy sur le contrat unique embauche ou un ressucé du cpe.)

Cela concerne l'avenir à très court terme des français. On sait que les chercheurs français sont en grande dépression et les meilleurs d'entre-eux recrutés avec des ponts d'or à l'international (Canada, Inde, Chine, EU... recrutent cette matière grise essentielle en économie de la connaissance quand la France la méprise et l'abaisse au rmi ou en smic).

---- Recherche et innovation : la France décroche complètement ----

Baisse des dépenses en R&D des entreprises, du nombre de brevets déposés et de publications…, la France prend un retard qui sera difficile à combler compte tenu du moindre intérêt des principaux politiques français.

Le constat est catastrophique pour la recherche et développement. Le niveau de l’innovation est en baisse et on perd des parts de marché sur tous les secteurs technologiques. La concurrence ne vient pas seulement des pays émergents.

Mais en Europe, la France décroche par rapport à tous ses voisins, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, et les pays Nordiques qui accélèrent et innovent de façon spectaculaire.

Selon les récentes données, quand en France, on dépose un brevet, on en dépose quatre en Allemagne, et cinq aux Etats-Unis.
(6000 dans l’Hexagone contre 24 000 Outre-Rhin et 32.515 Outre-Atlantique) !
L'INSEE et les principaux observateurs de haut niiveau constatent que la France est devenue la lanterne rouge. Bien en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE !

01 février, 2007 15:27  
Anonymous Anonyme a écrit...

On peut porter un regard mitigé, voire très critique, sur la politique de médiatisation menée par Bové, qui le mène à s'auto-folkloriser dans des émissions où il a à peine le temps d'esquisser un discours politique. Un petit documentaire illustre cet aspect : “Bové, le cirque médiatique” de Damien Doignot :
http://zalea.org/spip.php?article862

Quant à ceux qui croient intelligent de rapprocher Bové (et en général toute contestation plus ou moins radicale du système) du front national, je rappelerai que Le Pen, Sarkozy et Royal ont en commun le système économique qu'ils défendent, le capitalisme néolibéral, que seuls combattent les divers courants de la “gauche de gauche”. Je rappellerai aussi que Bové est aujourd'hui porte-parole d'une internationale paysanne, Via Campesina, dont fait partie la Confédération paysanne. Comme enfermement sur les valeurs franchouillardes, on fait mieux.

01 février, 2007 16:19  
Blogger Jean Véronis a écrit...

All> On sait qu'il y a une certaine divergence de vues entre le père et le fils, mais bon, ils ne sont pas obligés d'être d'accord. J'ai étudié le discours du FN, et je sais bien que ça va en faire hurler plus d'un, mais une fois qu'on a gommé les histoires d'immigration, on se retrouve avec un discours étonnament proche de celui de l'extrême-gauche: il dénonce le capitalisme, les "monstres froids des multinationales", etc. On pourrait faire un quizz "qui a dit...", et il y a aurait des surprises !

02 février, 2007 10:19  
Anonymous Anonyme a écrit...

Tres bien vu pour Barthes, il est a noté que Roland Barthes a écris aussi sur Bové. Un texte qui s'appelle « Mythologie de José Bové ».

Sinon, All à dit : Pour le discours, je le rapproche de celui-là : Refus de la mondialisation, refus du progrès, euro-scepticisme, retour à la terre et aux racines paysannes t aux valeurs familiales, plus quelques dérapages.

All lit bien la GROSSE presse, puisqu'il répète ce qui y est dit. Mais la mondialisation, il beigne dedans depuis longtemps en suivant les mouvements de paysans. Une des personnes qu'il a suivit dans la communauté de l'arche Lanza de Vasto, était un ami de Gandhi. Il applique d'ailleurs exactement les même méthode que Gandhi dans ses insuréctions pacifiques. Il traine aussi volontier en Amérique Latine, avec Morales par exemple. C'est pour ca que l'on appelle aujourd'hui le mouvement altermondialiste, pour toutes les deformations journalistiques de l'ancien terme antimondilisation (sous entendu marchande). L'Europe, c'est la volonté du programme qu'il va defendre pour les collectifs de citoyens. Une Europe d'abord sociale, et non pas d'abord économique.

Certains reproche à Bové de ne pas signer le ridicule pacte de Nicolas Hublot (celui qui est financé par Saint Gobain et Bouygues), mais non seulement le mouvement est bien plus écologiste qu'Hulot, mais en parlant de Bové, ça doit être le seul candidat (sauf preuve du contraire) à habiter dans une maison écologique. Il a d'ailleurs annoncé dès le 1er février et pour le mouvement vouloir aller plus loin que le pacte de Hulot, ridiculement signé par des gens qui s'interressent autant à l'écologie qu'a ce qui sort de leur Neuilly bien aimé.

J'en profite l'autre argument classique : Obsucrantisme sur les OGM. Le combat qu'il mène est contre les OGM en plein champs (et la multiplication des graines hybrides stériles au détriment de la biodiversité). L'Union Europénne à interdit les OGM en plein champs, la contamination à été déjà prouvée plusieurs fois, et n'importe quel biologiste laborantin le confirmera. La France est menacée de payer une amande, car elle est le dernier pays à ne pas interdire les OGM en plein champs. (Apres le nuage de Tchernobyl qui s'arrete à la frontière, le sang contaminé, l'amiante, la vache folle pas transmissible, et maintenant les OGM pas dangeureux du tout du tout, on commence à avoir l'habitude des rapports bidonnés des experts d'état français).

02 février, 2007 23:41  
Anonymous Anonyme a écrit...

> JEAN
Alors là c'est effectivement à hurler.
La base sociale du FN, c'est les petits commerçants. Quand il lance des diatribes contre "le capitalisme" ou "les multinationales", c'est du point de vue des "petits patrons", et en aucun cas du point de vue des travailleurs. Jamais il ne s'agit de remettre en cause le pouvoir de l'argent, quoique les apparences puissent faire croire. Les diatribes contre les syndicats, contre les fonctionnaires, contre les chômeurs sont bien plus courantes, et les rapprochent elles du dicours de la droite et de la gauche libérale, ainsi que le fond de son discours économique si on s'y arrête 5 min.
Ça n'est pas sérieux de lancer ce genre d'amalgame ! On dirait du Finkielkraut, du Arlette Chabot ou du Philippe Val !

03 février, 2007 00:59  
Anonymous Anonyme a écrit...

Bonjour,
Quel ouvrage de Bourdieu citez-vous ? Merci !

09 mars, 2007 16:22  
Blogger Jean Véronis a écrit...

C'est Barthes, à propos de l'Abbé Pierre en 1957 - Iconographie de l'abbé Pierre dans Mythologies, Roland Barthes, Éditions du Seuil, Paris, 1957

Boudieu les compare tous les deux à des prophètes (pour Bové c'était dans une interview)

09 mars, 2007 16:45  

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