Jean Véronis
Aix-en-Provence
(France)


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mardi, février 13, 2007

Ségo: La mère patrie

J'ai eu une grosse surprise hier pendant un de mes cours. J'analysais le discours de Ségolène Royal avec mes étudiants, et je voulais commenter le moment le plus poignant à mon avis, celui où elle se frappe la poitrine en criant «Je sais au fond de moi, en tant que mère...». Quoi qu'on pense de ses idées et de son programme, c'est une belle image. C'est à la minute 59:36 de son discours :



A l'aide de mon outil, Discours 2007, je cherche le mot mère dans son texte, et ô surprise... Le seul exemple attesté est le moment où elle parle du cas d'Odile, une mère célibataire (voir note infra). Rien à voir. Le passage le plus intense de son discours n'est tout simplement pas dans la version écrite, c'est une «interpolation» qu'elle a faite en direct. Elle est en train de parler de la précarité avec des accents dignes de l'Abbé Pierre (voir le texte). On sent la tension qui monte :
La France entrera en crise. Et c’est tout le lien social qui, de proche en proche, menacera de craquer. Il y a urgence. J’ai la ferme volonté d’empoigner ce problème à bras le corps.

A la minute, 59:36, elle diverge de son texte. Elle zappe la prochaine phrase, assez insipide :
Ecoutons là encore, les propositions et les attentes de ceux qui agissent tous les jours sur le terrain.

Et elle remplace ce morceau de pure langue de bois par une envolée magnifique, qu'elle débite d'une traite sans rien lire, et en se frappant la poitrine :
J'en ai la ferme volonté, je l'ai là, cheville au corps, parce que je sais au fond de moi, en tant que mère, que je veux pour tous les enfants qui naissent et qui grandissent en France, ce que j'ai voulu pour mes propres enfants (applaudissements) Et je veux que tous les responsables politiques soient aussi comme cela, c'est comme cela que nous réussirons à régler ce problème. Cet avenir, il est là, il est devant nous, et nous avons l'obligation, l'ardente obligation de réussir. J'en fais devant vous le serment (applaudissements nourris). Vous êtes là pour que je tienne ma parole et cette parole, nous la tiendrons ensemble (délire de la salle, standing ovation).

L'ovation dure de la minute 60:23 jusqu'à la minute 62:03. Près de deux minutes, ce qui est énorme dans un meeting...

Puis elle continue, et reprend le cours de son texte :
Mettre les parents devant leur responsabilité pour assumer leur rôle, tout leur rôle. Nous aiderons les mamans seules...

C'est ce passage improvisé qui sera repris sur toutes les télés... J'avais noté exactement la même chose avec Nicolas Sarkozy. Il devient bon quand il quitte son texte, et c'est là qu'il fournit ses meilleurs moments, qui sont souvent repris par les médias. Comme quoi, nos hommes et femmes politiques devraient fuir la bêtise et la ternitude de leurs conseillers en com...

Ségo, la mère. J'ai expliqué à diverses reprises qu'elle avait un vocabulaire maternel tout à fait nouveau dans la politique française. La mère rassurante, mais ferme, voire militaire... Ne serait-elle pas l'image moderne de la mère patrie ? Avez-vous noté l'absurdité de cette expression, d'ailleurs ? Patrie, ça vient de pater, le père. Peut-être que cet assemblage de termes un peu oxymorique, mais tellement ancré dans notre histoire, peut laisser supposer que nous cherchons confusément une incarnation de la patrie pas trop machiste ? Si c'est le cas, Ségo a ses chances !


Note


Mise à jour du 15/02) : la version en ligne sur le site Desirs d'avenir a changé et intègre désormais l'interpolation. Je corrige aussi sur Discours 2007.

Voir analyse comparée des deux versions.

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24 Commentaires:

Blogger Merriadoc a écrit...

Bonjour,

Tu parles beaucoup de Ségo, ainsi que de Sarko.

Et qu'en est il des autres candidats ? N'y a t'il pas d'autre alternative pour les électeurs 'non extrèmes' ?

Cela me fait penser à l'émission "J'ai une question à vous poser", sur TF1 (d'où, peut être...), qui propose une émission à Sarkozy, et une à se partager aux candidats Besancenot, Buffet, Le Pen, de Villiers.

Qui a parlé de bi-partisme ?

13 février, 2007 15:02  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Merriadoc> je parle assez souvent de Bayrou...

Pour ce qui est des petits candidats, c'est plus délicat, car la nourriture du linguiste ce sont les mots, et ils parlent moins. Par exemple, j'ai le plus grand mal à trouver des discours de Besancenot, Laguiller, Bové, etc. pour engranger dans mon site Discours 2007 (je le ferais pourtant plus que volontiers). Donc c'est un peu le serpent qui se mord la queue...

Si des lecteurs proches de ces petites formations peuvent aider et me fournir le matériau brut, je leur en serais reconnaissant !

13 février, 2007 15:06  
Blogger Merriadoc a écrit...

Un appel aux formations - relayés par les blogs, tiens, ca sert à ça internet, aussi, non ? - pour t'envoyer leurs discours (parlent ils moins, ou sont ils moins médiatisés ?), c'est une bonne idée ça.

Par contre, ca ne va pas alléger tes journées. :-)

13 février, 2007 15:15  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Je crois qu'ils parlent moins. Il faut des moyens pour se ballader partout en France. Et il faut avoir la certitude de remplir les salles...

Ils sont aussi, incontestablement moins relayés. Ceci étant, ils ne font pas beaucoup d'efforts non plus : leurs discours sont introuvables sur leurs sites (et ça, ça ne coûte pas bien cher...).

Alors, oui, je suis preneur, s'ils me font parvenir leurs textes !

13 février, 2007 15:21  
Anonymous Anonyme a écrit...

La mère patrie ! Oui, mais une fois la mère partie, ne restera que l'amer parti et sa mare pétrie d'hypermétrie !

13 février, 2007 17:46  
Anonymous Anonyme a écrit...

Je me demande si réellement l'écart du discours de Ségolène Royal n'est pas construit au préalable par ces fameux spin doctor ?

Car un vocabulaire ou une tirade sensuello-affectivo-politique couchée sur du papier [i.e. le discours de la candidate] cela aurait fait une peu trop convenue : style sortez vos mouchoirs au bip sonore ...

Comme pour Nicolas Sarkosy, mais aussi pour les autres, je pense que c'est une technique oratoire semi- aléatoire dans le sens où le moment de faire du pathos est choisi mais par contre la manière de "dire" demande une certaine liberté pour le construire (ce pathos).

Les médias télévisés - format oblige - veulent du sang et des larmes (je schématise). Aujourd'hui nous voyons Madame Royal être une mère. Bon... C'est une stratégie.

Monsieur Sarkosy est le père.

Et dans les banlieues, il y a les grands frères ;-)

Donc je ne ressents pas cette pseudo-disjonction comme un élan de type "je pars en vrille émotionnelle" mais plutôt comme une stratégie préalablement pensée du type "coeur à coeur" (coeur de pierre vers les coeurs d'artishow ?). J'exagère, je sais !

LL

13 février, 2007 20:41  
Anonymous Anonyme a écrit...

Bonjour,
J'ignore le sérieux de la chose mais cela t'intéressera peut être.

http://www.votons.info/2007/election-presidentielle/comparer/

Et bravo pour ton boulot et ton blog !

13 février, 2007 22:35  
Anonymous Anonyme a écrit...

moi non plus je ne crois pas que ségolène soit "partie en live" sans avoir au préalable répété son texte (appris par coeur) : j'en veux pour preuve que cette envolée maternelle s'est produite pile au milieu de son intervention...
Mais il n'en reste pas moins qu'elle était touchante. Comme une actrice qui joue bien !

14 février, 2007 08:36  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Il est bien possible que le passage ait été semi-appris, faussement improvisé. On n'en saura sans doute jamais rien. Mais pour une fois, Ségo était une bonne oratrice (idem avec Sarko quand il se détache du texte).

Je pencherai plutôt pour une semi-improvisation. Je veux dire par là : quel intérêt de ne pas avoir mis ce morceau dans son texte si elle comptati le dire ? C'est sans doute un peu comme les impros en jazz : c'est improvisé, mais on puise dans un répertoire de choses qu'on a déjà jouées et qu'on réassemble... Ce couplet sur la mère et les enfants, elle l'a déjà probablement fait de multiples fois, avec des variantes, dans des meetings divers et variés (je me souviens de l'avoir entendu).

14 février, 2007 08:42  
Blogger Vicnent a écrit...

Wep... je reste dubitatif.
Après tout, on ne peut pas lui reprocher de vibrer de temps en temps. Mais quelque part, je trouve qu'il y a trop d'émotion... et ça, ça me fait peur. Surtout que, cette émotion, elle démarre avec "parce que je sais au fond de moi, en tant que mère, que je veux pour tous les enfants qui naissent et qui grandissent en France, ce que j'ai voulu pour mes propres enfants". Or, personne n'ignore que ses 4 enfants n'ont jamais mis les pieds dans un établissement publique de l'éducation nationale, primaire, collège et lycée. Tous les enfants de la France dans le privé ? Ça pue l'hypocrisie...
Sans oublier le reste de la "vibration" en mode "génération aléatoire de discours"... La belle affaire...

14 février, 2007 11:01  
Anonymous Anonyme a écrit...

A la la.. le Monopole du Coeur...

En effet, très intéressant de suivre ces petites phrases qui construisent des cyclones médiatiques.

14 février, 2007 14:58  
Anonymous Anonyme a écrit...

Moi je retiens ces derniers morts: "mère patrie". Je pense que l'on devrait pouvoir dire "matrie". De même, on parle de "fraternité", mais pas de "sorornité" pour les femmes. Ou bien existe-t-il un mot qui m'aurait échappé?

14 février, 2007 15:40  
Anonymous Anonyme a écrit...

Oui, belle envolée lyrique de la mater dolorosa !
Mais... aucun effet dans les sondages ! Elle attendrit ses militants et exaspère les Français !

14 février, 2007 16:23  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Anonyme> Remarquez, c'est plutôt rassurant qu'il n'y ait pas d'effet sur les sondages deux jours après: combien de Français ont-ils écouté son discours ? Ce serait inquiétant si les opinions changeaient du tout au tout sur la base des deux ou trois extraits (comme celui-ci) retransmis aux JT...

14 février, 2007 16:28  
Anonymous Anonyme a écrit...

Et bien sans doute parce que je suis une femme et que dans ses mots vibrait autre chose que du préparé et du convenu, je pense que cette "interpolation" a été introduite là parce qu'elle l'a senti comme ça, à ce moment là! D'autre part, il est vrai que chez Ségolène Royal ce thème n'est pas nouveau et qu'elle l'a souvent mis en avant ; la différence dans le discours de Villepinte c'est qu'il y avait ce "plus" que donne la force d'y croire et elle y croyait!
A Nantes, elle a arpenté l'estrade pendant près d'une heure trente, face aux milliers de personnes assises dans la salle, dans les halls, debout un peu partout jusqu'à l'extérieur de l'auditorium, sans papier, le micro à la main, et son intervention d'une extrême qualité pouvait laisser présager le "discours de Villepinte"...
Et qui l'a en effet entendu in extenso ce discours ?... les médias se sont empressés de le taire! Mais, chance, ils en ont donné le meilleur constitué par ce moment où les "trippes" remplacent très avantageusement tous les discours préparés du monde!
Merci donc pour cette remarque fort judicieuse Monsieur Véronis!

15 février, 2007 02:42  
Anonymous Anonyme a écrit...

Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots (Jean Jaurès).
Quand les hommes ne peuvent changer les choses, les femmes le peuvent...

15 février, 2007 15:12  
Anonymous Anonyme a écrit...

Oui, belle analyse de ce temps fort en hors texte. Mais la thématique du "je parle en tant que mère", avec plus ou moins de pathos associé, n'est effectivement pas nouvelle chez elle. Il me semble, mais de mémoire, qu'à Aiffres (juste avant son investiture par le parti) elle avait développé là-dessus. Mais à Aiffres, elle parlait sans notes, de manière beaucoup plus informelle... Là, c'était un beau morceau et peu importe qu'il ait été ou non improvisé ou lu sur post-il ;-) Mais ce beau morceau d'éloquence classique ne semble avoir emporté l'adhésion que des convertis...

15 février, 2007 19:53  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Fraise de bois> Oui, c'est un thème récurrent chez elle. Je l'ai entendue à plusieurs reprises dans ce registre. J'adore ces moments où les personnages politiques de tout bords quittent les rails pour lâcher des choses un peu plus près de leur coeur (et je n'ai guère de doute que sur ce thème elle soit sincère, même si elle n'est pas naïve et sait très bien exploiter la chose)...

15 février, 2007 20:47  
Anonymous Anonyme a écrit...

voici le lien d'un article sur Sarko: comment peindre unoizorare où le fils utilise le blog de son papa (Jean Véronis) sur la mère-patrie; merci pour cette participation à un numéro salé (catégorie:SEL)
http://les4saisons.over-blog.com/article-5666015.html

16 février, 2007 09:29  
Anonymous Anonyme a écrit...

pour avoir du matériau "brut" sur les petits candidats, je vous invite à visionner les vidéos questionnaire de Proust des gars de la royal.
http://www.lesgarsdelaroyal.com/
ce sont des documents bien faits, exploitables sans doute et au moins on entendrait parler des petits candidats comme a tenté de le faire le livre Élysée 2007 de mars 2006 et dont j'ai rendu compte:
http://les4saisons.over-blog.com/article-2467789.html

17 février, 2007 10:36  
Anonymous Anonyme a écrit...

C'est intéressant de revenir sur ce texte dix jours plus tard. Beaucoup ont trouvé ce passage "magnifique" simplement ridicule, et beaucoup de femmes sont dans ce cas.
L'opinion, sans doute limitée en matière de sémantique, n'a pas l'air d'acheter l'oxymoron et fait preuve, à droite comme à gauche, d'un certain irritage.

17 février, 2007 14:21  
Anonymous Anonyme a écrit...

J'ai trouvé très bon ce passage mais je voterais plutôt pour Bayrou.

Même si elle a bien déclamé cette phrase, je préférerais ne pas la voir occuper une fonction à responsabilités à la tête de l'état... pas même premier ministre (DSK serait mieux) ni même ministre de la famille...

Directrice de la comédie Française à la rigueur au regard de sa prestation mais pas plus...

18 février, 2007 20:46  
Blogger all a écrit...

La plupart des question posées en public à Ségo et Sarko ne considère pas les attributions d'un président de la république (diplomatie, défense, indépendance nationale etc.) mais leurs capacités respectives à résoudre des problèmes individuels qui se raccordent directement à ceux qui les posent et à leur proche entourage.
Pour mon emploi, pour ma santé, mes enfants, mon pouvoir d'achat, que ferez-vous quand vous serez président(e)?
Ces question sont destinées à un premier ministre, à un ministre des finances ou des affaires sociales ; ensuite pour légiférer il faudra une majorité. Où est la majorité de monsieur Bayrou qui sera obligé s'il est élu de faire de combinaziones à l'italienne. Et madame Royal contrôle-t-elle le PS ?

Alors le candidat répond aux sujets comme un monarque, le père ou la mère d'un nation orpheline de roi et de reine. Je vous aime, serai bienveillant et je vous protègerai.

11 mars, 2007 10:37  
Anonymous Anonyme a écrit...

La mère patrie, à l'heure du mariage pour tous, va enfin pouvoir faire son "coming out" d'entité transsexuel....non?

20 décembre, 2012 16:14  

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